Jean Paul a entendu parler de la crise des supprimes en 2008, mais c’est en 2009 qu’il a compris que cela allait le toucher. Depuis, tout a Ă©tĂ© de mal en pis. C’est en septembre 2009 que le patron du chantier naval a exposĂ© le premier plan d’urgence. « Le carnet de commande est vide. La trĂ©sorerie de l’entreprise en diminution et il faut faire des efforts. » Le patron a alors dĂ©cidĂ© des mesures immĂ©diates, un gel total des embauches, la fin des contrats intĂ©rimaires, la fin des primes, le gel total des salaires, et pour ceux qui s’occupent des mises en chantier le chĂ´mage partiel.
Le patron il le connaĂ®t depuis le temps qu’il travaille avec lui. jean Paul le croise chaque fin de semaine hors du travail avec sa femme et ses enfants Ă l’association de danse pour les enfants. Sa fille prĂ©pare un thème avec la sienne pour le gala de fin d’annĂ©e. Sa femme et sa fille lui font la bise chaque fois qu’elles arrivent Ă l’association. Ce doit ĂŞtre une exception, puisque Chalux le voisin cĂ©gĂ©tiste retraitĂ© de la fonction publique, lui explique que les patrons ont tous des hauts de forme et fument le cigare, qu’ils sont tous avides et leur but dans la vie c’est l’exploitation des autres . Son patron lui ne fume pas, et son but c’est que le chantier naval trouve des clients. Mais Chalux n’a peut ĂŞtre jamais rencontrĂ© de patron de sa vie, il a toujours Ă©tĂ© fonctionnaire.
Avec son patron, ils se tutoient, ça n’empĂŞche pas le respect mutuel, mais au travail, ça reste le patron. Un jour qu’ils Ă©taient ensemble l’annĂ©e dernière dans la salle des tables Ă dessin, il l’a vu rĂ©pondre Ă un appel sur son tĂ©lĂ©phone portable. Visiblement c’Ă©tait un banquier, qui lui annonçait que des traites arrivĂ©es Ă Ă©chĂ©ance avaient mises le compte de la sociĂ©tĂ© dans le rouge. Lorsqu’il a mit fin Ă l’appel, une phrase lui est sorti du cĹ“ur, alors qu’il n’est jamais grossier. «Si je pouvais fermer le chantier maintenant, j’en ai raz le cul ! ». Il avait oubliĂ© qu’il n’Ă©tait pas seul. Il ne l’a pas fait, Ă cette Ă©poque, espĂ©rant toujours un ultime rebondissement.
Mais il y a deux mois, il est venu, voir le groupe des anciens. Jean Paul en fait partie. Il a voulu les informer en premier, il a dit simplement la gorge serrĂ©e « c’est fini! TerminĂ©!».
Il faut dire que Jean Paul est communiste. Il a toujours votĂ© Ă gauche sans jamais se poser de questions jusque lĂ . Il faut dire aussi qu’il est copain avec son voisin Chalux, le CĂ©gĂ©tiste. A eux deux ils changent virtuellement le monde avec des « y’a qu’a, » « faudrait que ». A la fin de leurs discutions, c’est toujours les riches qui doivent payer.
Pour Jean Paul et les 103 autres salariĂ©s du chantier naval, un plan social vient d’ĂŞtre approuvĂ©. L’heure du licenciement Ă©conomique est arrivĂ©. Bien peu d’espoir de retrouver du travail dans le mĂŞme business. Jean Paul est spĂ©cialisĂ© dans la menuiserie des bois marins. Son savoir faire, c’est, la fabrication des yachts de luxe.
Après le choc de l’annonce de la faillite, voici que naĂ®t en lui un besoin d’un peu de rĂ©flexion instantanĂ©e philosophique de gauche avec son ami Chalux. «C’est Ă cause du nĂ©olibĂ©ralisme, de la mondialisation. Encore un gâchis que les capitalistes ont organisĂ©. Quand Ă ce gouvernement socialiste, il ne fera rien.»  Jean Paul avait une prĂ©monition que cela allait arriver, depuis un certain temps il voyait bien que l’activitĂ© baissait.
Chalux le CĂ©gĂ©tiste avait dit Ă Jean Paul que le chantier Ă©tait viable, il suffisait d’une volontĂ© politique forte. Prendre l’argent aux riches c’Ă©tait la solution. Ces «salauds de riches!
Un jour Jean Paul est tombĂ© sur Internet sur la «thĂ©orie du ruissellement ». C’est une mĂ©taphore économique libĂ©rale selon laquelle, les revenus des individus riches sont in fine rĂ©injectĂ©s dans l’Ă©conomie, via la consommation, via l’investissement ou via l’Ă©pargne, contribuant ainsi, directement ou indirectement, Ă la prospĂ©ritĂ© Ă©conomique et la crĂ©ation d’emplois. L’Ă©conomie du ruissellement serait particulièrement importante en France, puisque c’est la première nation leader du luxe au monde devant l’Italie.
Jean Paul en a parlĂ© Ă Chalux le CĂ©gĂ©tiste, qui lui a rĂ©pondu sans hĂ©siter «c’est une fumisterie». Chalux a alors expliquĂ© avec la vision marxiste CGT sa façon de voir l’Ă©conomie de ruissellement. «c’est une idĂ©e selon laquelle les riches rĂ©injectent leur argent dans l’économie rĂ©elle en consommant ou en investissant, et ça crĂ©e des emplois. Mais en rĂ©alitĂ© c’est n’importe quoi, les riches ont inventĂ© cette thĂ©orie pour pas qu’on les taxe. T’as compris ?»
En rĂ©sumĂ©Â : Circulez y’a rien a voir!
Quand Jean Paul est revenu expliquer le dĂ©pĂ´t de bilan Ă Chalux, Chalux lui a dit « t’a vu l’Ă©conomie de ruissellement? 103 personnes virĂ©es comme des malpropres.» Le chantier naval dans la ville c’est quelque chose. Alors la gauche toute entière est venue comme la charogne sur un cadavre. MĂ©lenchon le prĂ©sident du parti de gauche c’est exprimĂ© dessus. Une belle tirade sur les mĂ©chants capitalistes et la mondialisation. Ça n’a rien changĂ©. Un peu de buzz sur Internet sur les « salauds de riches ».
Un ministre qui justement aime les polos rayĂ©s marin, Montebourg est arrivĂ© avec son cortège de camĂ©ra et micro devant le siège de l’entreprise. Lui avait trouvĂ© un repreneur.
Alors un type est venu. Un Énarque reprĂ©sentant d’un fond d’investissement très liĂ© Ă l’Ă©tat. Le type c’est pavanĂ© avec avec des potes de sa promotion sur le chantier en faisant semblant de s’intĂ©resser au business du chantier naval. Lui et son Ă©quipe ont occupĂ© les lieux 10 jours. Le cinĂ©ma des brasseurs de vent a durĂ© 10 jours, le temps qu’on en parle plus dans les mĂ©dias. In finĂ©, la conclusion est tombĂ©e. Pas de profits et de rentabilitĂ© possible. Le marchĂ© ceci cela, la taxe a 75%, les taxes sur les plus-values de cession quand ils revendent leurs parts font fuir les investisseurs…Le ministre et les mĂ©dias avaient eux aussi disparu. Ça n’a mĂŞme pas fait une seule ligne dans le Monde ou le nouvel obs.
Le patron de Jean Paul quand a vu arriver l’Enarque, a dit discrètement en catimini Ă Jean Paul et aux anciens dans un dialogue Ă bâton rompus. « Tu penses bien qu’avant d’en arriver lĂ , j’ai Ă©cumĂ© tous les fonds financier sur Paris, et mĂŞme sur Londres. Ce type lĂ je l’ai vu ! Peut ĂŞtre ne se souvient il pas de moi. Je suis restĂ© que quelques minutes dans son bureau. Je lui parlait de bateaux, la seule question qu’il m’a posĂ© c’est « est qu’il arrive que vos clients vous payent en liquide ? ». Quand je lui ai rĂ©pondu que « non », il a semblĂ© dĂ©sappointĂ© et a mis poliment fin Ă la nĂ©gociation. « Le type ici c’est de la gesticulation d’un ministre qui fait sa pub. C’est sĂ»rement la première fois qu’il se dĂ©place d’en une entreprise de sa vie. Il cherche autre chose que reprendre une entreprise.»
A la fin du mois, Jean Paul ne travaillera plus. Mais il reste le dernier grand Ă©vĂ©nement du chantier naval. Aujourd’hui le propriĂ©taire du dernier bateau de luxe fabriquĂ© par le chantier, vient voir l’œuvre collective des travailleurs. Jean Paul et ses collègues y ont travaillĂ© dur pendant 9 mois. Le bateau est magnifique. Splendide. Certainement la plus belle rĂ©alisation du chantier jamais rĂ©alisĂ©e. Une fiertĂ© collective, une oeuvre d’art qui suscite l’admiration gĂ©nĂ©rale. Le sentiment d’avoir accompli un exploit.Â
Le propriĂ©taire est un riche financier Ă©tranger. Il est arrivĂ© en dĂ©but de semaine en France avec sa famille. Il est passĂ© dans les plus belles boutiques du pays. Il loge dans les meilleurs hĂ´tels de France. Sa femme est passĂ©e chez Vuitton et Lonchamps. Ils ont besoin de malles et valises et sacs pour voyager dans ce yacht. Sa femme les a rempli Ă raz bord des plus belles marques Françaises, elle a Ă©cumĂ© les couturiers, et les joailliers, Hermès, Dior, Chanel, Lancome, Nina Ricci, Louboutin, Cartier, Givenchi, Piaget, Gaultier, Van Cleeef et Arpels, Balmain, Boucheron, Chaumet, Baccara etc….C’est une bonne cliente des magasins de Luxe de la capitale.
Lui a achetĂ© le consommable pour le bateau, RĂ©mi Martin, Martel, Bolinger, Fauchon, les meilleurs premiers crus des vins de France, CĂ´te de Nuits Saint Georges, RomanĂ©e-Conti, CĂ´te de Beaune, PĂ©trus, Leroy Chambertin etc…
Il a dĂ®nĂ© dans les restaurants les plus Ă©toilĂ©s de France, Bocuse, Ducasse, Savoye, Lorain…
C’est aujourd’hui que les riches acquĂ©reur viennent prendre possession du bateau !
Aujourd’hui les repères de Jean Paul sont un peu perdu. Jean Paul n’a pu s’empĂŞcher de noter que cette liste Ă n’en plus finir des achats de ce couple de riche. Tout les achats ont Ă©tĂ©s fabriquĂ© par des entreprises de luxe Françaises. Jean Paul vient de lire les statistiques du luxe Français : un chiffre d’affaire de 240 milliards d’€uros par an, supĂ©rieur Ă l’aĂ©ronautique Airbus et tous les sous traitants inclus, 80% en exportation. 1er apporteur de devises Ă©trangère du pays. En passe de dĂ©passer le chiffre d’affaire de l’automobile en France. La France est leader mondial devant l’Italie l’autre pays du luxe. Derrière les mastodontes connus qui font la une des journaux, une myriades de petites entreprises et plusieurs millions de salariĂ©s en France.
Jean Paul pense au milliers de personnes que ce riche étranger a fait travailler cette semaine, et en extrapolant, combien de millions de gens font travailler les riches, à commencer par lui, Jean Paul et ses collègues.
Et puis, c’est pas de chance, si on avait eu un type comme celui là comme investisseur, il aurait pu être un repreneur idéal pour le chantier. Sa présence au capital aurait certainement attiré ses collègues pour en faire des clients. Pensez donc : non seulement il a l’air d’aimer les bateaux mais en plus, il apprécie manifestement le savoir-faire Français.
La boĂ®te avait besoin d’argent frais, s’il Ă©tait entrĂ© au capital, il aurait dĂ©versĂ© une partie des centaines de millions qu’il gère pour le compte de ses riches clients dans l’entreprise. Ça aurait sauvĂ© la centaine d’emplois et l’emploi de Jean Paul. Avec un actionnaire tel que lui, c’est pas l’entreprise qui aurait Ă©tĂ© Ă la botte de la banque, mais la banque Ă la botte de l’entreprise. On aurait continuĂ© a faire de beaux bateaux, pour les plus riches de la terre.
Jean Paul pense maintenant Ă la fixation actuelle mĂ©diatique sur les riches. Il en conclu que c’est politiquement très vendeur sur le marchĂ© politique. Un incapable pourrait se faire Ă©lire uniquement avec ce simple argument comme programme….
Jean Paul regarde son avenir, la prĂ©caritĂ© va peut ĂŞtre devenir son lot quotidien. Jean Paul se dit qu’il aimerai que le ruissellement des riches continue. L’important, c’est pas que les riches deviennent pauvre, mais que tout le monde devienne riche.
Que la richesse des uns amène la richesse des autres.
Quelques sources:
Etude sur la croissance du luxe en europe
Définition théorie du ruisselement
La face cachĂ©e de l’Ă©conomie par Spartacus libĂ©ral:Â
Émilie et les socialo-communistes! le besoin n’est pas la demande.
Jean Paul et les socialo-communistes. L’économie du ruissellement.
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