La rupture sâaccroÃŪt entre les fonctionnaires et les salariÃĐs
La proclamation des rÃĐsultats, mardi 9 dÃĐcembre, aux ÃĐlections professionnelles dans la fonction publique a soulignÃĐ lâÃĐcart croissant entre les agents publics et les salariÃĐs du privÃĐ.
Triomphe des syndicats de ÂŦ fonctionnaires Âŧ
Premier ÃĐlÃĐment caractÃĐristique: la participation au scrutin sâest maintenue à un niveau supÃĐrieur à 50%, et a mÊme assez faiblement reculÃĐ (1,8 point en moins, à 52,3%) par rapport à 2011. Câest dans la fonction publique territoriale que le phÃĐnomÃĻne sâest le plus marquÃĐ: la participation a baissÃĐ de prÃĻs de 5 pointsâĶ mais câest toujours dans la territoriale que lâon vote le plus (prÃĻs de 55% de participation). Globalement, 2,6 millions de fonctionnaires se sont dÃĐplacÃĐs pour voterâĶ
DeuxiÃĻme ÃĐlÃĐment caractÃĐristique du scrutin: la FSU, syndicat enseignant par excellence, connaÃŪt une trÃĻs faible ÃĐrosion avec 0,2 point perdu (de 15,8 à 15,6) entre 2011 et 2014, malgrÃĐ un changement de majoritÃĐ parlementaire qui handicape sa libertÃĐ de manoeuvre et lâoblige à une plus grande loyautÃĐ vis-à -vis du pouvoir. Les syndicats ÂŦ autres Âŧ, câest-à -dire les autonomes, gagnent 0,2 point (de 5,7 à 5,9), et la FGAF (FÃĐdÃĐration gÃĐnÃĐrale autonome des fonctionnaires, qui regroupe des minoritaires comme le SNALC) triple son score (de 0,7 à 1,9).
Autrement dit, les syndicats spÃĐcifiques à la fonction publique, sur la totalitÃĐ des 2,6 millions de voix, ont totalisÃĐ 15,8% des bulletins (contre 14,6% en 2011). Un septiÃĻme des fonctionnaires vote pour un syndicat purement catÃĐgorielâĶ Mais ce chiffre sâÃĐlÃĻve à 23,2% pour la seule fonction publique dâEtat, contre 21,3% en 2011. Câest la grande rÃĐvÃĐlation de ce scrutin: les fonctionnaires dâEtat se reconnaissent de moins en moins dans les syndicats ÂŦ gÃĐnÃĐralistes Âŧ, et prennent de plus en plus conscience de la spÃĐcificitÃĐ (de lâantagonisme?) de leurs revendications propres.
FO gagne du terrain chez les fonctionnaires
Autre indicateur de cette tendance au schisme entre fonctionnaires et salariÃĐs du privÃĐ: les rÃĐsultats de FO. La confÃĐdÃĐration progresse de 0,5 point sur lâensemble du scrutin, mais de 1 point dans la fonction publique hospitaliÃĻre oÃđ elle ÂŦ rattrape Âŧ peu à peu la CFDT, pourtant en progression de 0,4 point.
Surtout, FO consolide sa premiÃĻre place dans la fonction publique dâEtat, avec 17% des voix (et des plÃĐbiscites isolÃĐs comme au Conseil dâEtat), ce qui permet de distancer de façon de plus en plus nette non seulement la FSU, mais aussi la CGT qui a perdu 1,4 point. Sans une contre-performance au ministÃĻre de lâIntÃĐrieur oÃđ la CGC a raflÃĐ la mise, lâemprise de FO sur le dialogue social dans les services de lâEtat serait encore plus grande.
Cette rÃĐussite de FO rÃĐcompense la mobilisation trÃĻs importante du syndicat, et tout spÃĐcialement de Jean-Claude Mailly lui-mÊme, qui a arpentÃĐ les terres de la fonction publique pendant trois mois pour porter la bonne parole: dÃĐfense du service public, lutte contre lâaustÃĐritÃĐ, mais parole mesurÃĐe contre le gouvernement. Manifestement, cet engagement a payÃĐ, mais il sâest fait sur un discours taillÃĐ sur mesure pour la fonction publique et beaucoup moins audible par les salariÃĐs du privÃĐ. Dâailleurs, on serait bien en peine de dÃĐgager aujourdâhui la parole de FO commune au public et au privÃĐ.
Au total, FO talonne dÃĐsormais la CFDT Ã 0,6 point pour la deuxiÃĻme place du podium dans lâensemble de la fonction publique.
LâUNSA passe la barre des 10%
Autre percÃĐe qui ÃĐtaie lâidÃĐe dâune scission entre les revendications des fonctionnaires et celles des salariÃĐs: celle de lâUNSA, qui gagne un point et atteint dÃĐsormais les 10,3%. Cette percÃĐe est trÃĻs nette dans la territoriale, oÃđ lâUNSA gagne prÃĻs de deux points, mais elle est significative dans les services de lâEtat, avec des percÃĐes sectorielles intÃĐressantes comme à lâEducation Nationale, et un seul recul majeur enregistrÃĐ: dans lâenseignement supÃĐrieur.
Là encore, la montÃĐe de lâUNSA montre bien ÂŦ lâatypisme Âŧ des fonctionnaires par rapport à leurs cousins du privÃĐ.
Au total, les quatre reprÃĐsentatifs nationalement dans le secteur privÃĐ (hors FO) reprÃĐsentent 48,5% des voix et sont dÃĐsormais minoritaires dans le service public. Ils reprÃĐsentaient 51,4% des voix auparavant. Autrement dit, les ÃĐlections dans le service public ont dâabord montrÃĐ le recul des syndicats ÂŦ gÃĐnÃĐralistes Âŧ reprÃĐsentatifs dans le secteur privÃĐ, avec une chute de 3 points.
Les fonctionnaires et les avionneurs mettent Lepaon KO
La CGT apparaÃŪt comme la grande perdante du scrutin, avec une perte totale de 2,3 points, qui la maintiennent en tÊte, mais avec une avance de moins en moins confortable. La CGT a perdu prÃĻs de 4 points dans la fonction publique territoriale, vivier pourtant utile pour le fonctionnement de la maison: les collectivitÃĐs adorent mettre des fonctionnaires à disposition de la section locale CGT pour ÃĐviter les conflits. Ce vivier est manifestement mal en point.
Partout ou presque (la CGT progresse fortement dans les services du Premier MinistreâĶ), les indicateurs sont au rouge. A la Poste, la CGT perd prÃĻs de trois points. A la Ville de Paris, elle perd 6 points! MÊme lâHumanitÃĐ nâa pu sâempÊcher de faire ce constat douloureux.
Au mÊme moment, Airbus organisait ses ÃĐlections internes. La CGT y a perdu sa reprÃĐsentativitÃĐ:
Le dÃĐlÃĐguÃĐ syndical central de la CGT chez Airbus Sas Operations, Xavier Petrachi, a expliquÃĐ ce revers à lâAFP en dÃĐclarant: ÂŦ Câest peut-Être le signe dâun repli sur soi des salariÃĐs dâAirbus dÃĐsireux de garder leur statut, et la conjoncture nâest pas non plus favorable à notre syndicat qui a fait beaucoup pour faire ÃĐlire François Hollande Âŧ.
ÂŦ Lâaffaire Thierry Lepaon a aussi brouillÃĐ notre message et nos valeurs de solidaritÃĐ Âŧ, a ÃĐgalement estimÃĐ M. Petrachi, ÃĐvoquant la mise en cause en interne du secrÃĐtaire gÃĐnÃĐral de la CGT pour des dÃĐpenses et indemnitÃĐs jugÃĐes ÂŦ scandaleuses Âŧ par nombre de militants et de cadres.
M. Petrachi a appelÃĐ vendredi ÂŦ à titre personnel Âŧ au dÃĐpart de M. Lepaon en twittant: ÂŦ Cette situation devient insupportable: quâil dÃĐmissionne Âŧ.
Lepaon sur la bretelle de sortie
Ce Petrachi a manifestement dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas â tout le monde ÃĐtant confortÃĐ par un sondage dâopinion indiquant que la popularitÃĐ de la CGT avait baissÃĐ de 14 points en un an. Les langues ont dâailleurs commencÃĐ Ã se dÃĐlier à la CGT, et les plumes à couler. Les journalistesadhÃĐrents du syndicat ont demandÃĐ officiellement la tÊte de leur chef, avant que divers influenceurs du syndicat ne demandent la mÊme chose.
En fait, à lâissue dâune rÃĐunion de la commission exÃĐcutive tenue le mardi 9 dÃĐcembre, Thierry Lepaon nâa pu ÃĐviter la convocation dâun conseil confÃĐdÃĐral national (CCN), aprÃĻs de multiples pÃĐripÃĐties dont on lira le dÃĐtail sous la plume de Leila de Comarmond. LâhypothÃĻse dâun remplacement par Martinez, de la mÃĐtallurgie, ou dâune direction collÃĐgiale, reste plus que jamais dâactualitÃĐ.
La position du secrÃĐtaire gÃĐnÃĐral de la CGT est paradoxale. Au train oÃđ va la vie de sa confÃĐdÃĐration, il devrait encaisser, au mois de janvier, le choc de sa destitution, mais son obstination à rester en poste contre vents et marÃĐes ne manque pas dâintriguer. Peut-Être la dÃĐmission probablement forcÃĐe de lâadministrateur Eric Lafont lui donne-t-elle lâillusion dâavoir actionnÃĐ un fusible qui le protÃĻgera.
Cette illusion semble bien enracinÃĐe dans le psychisme du secrÃĐtaire gÃĐnÃĐral! puisque deux fÃĐdÃĐrations, dont celle des services publics, ont demandÃĐ sa tÊte en fin de semaine.
Le MEDEF arrondit les angles du dialogue social
Curieusement, cet affaiblissement de la CGT ne profite ni au MEDEF ni aux autres organisations patronales, qui rencontraient cette semaine les syndicats à lâoccasion dâune rÃĐunion sur le dialogue social et sa modernisation en entreprise.
Au-delà des habituels atermoiements propres aux nÃĐgociations interprofessionnelles, la position patronale semble plus que jamais divisÃĐe entre les colombes du MEDEF, prÊtes à lÃĒcher des concessions, notamment dans les TPE, et les faucons de la CGPME et de lâUPA, hostiles à toute reconnaissance des syndicats dans les murs des petites entreprises. Finalement, le MEDEF a proposÃĐ un texte mou et sans grandes ambitions, qui est toujours perçu comme un texte dâattente par les organisations syndicales.
Une sÃĐance de nÃĐgociation avait lieu jeudi, qui nâa dÃĐbouchÃĐ sur aucune avancÃĐe concrÃĻte. En rÃĐalitÃĐ, le chef de file patronale nâa aucune marge de manoeuvre pour sortir le processus de lâorniÃĻre, et la CGPME et lâUPA occupent leur siÃĻge, mais sâabstiennent de toute participation aux discussions. Faute de possibilitÃĐ dâavancÃĐes, le MEDEF a donc envoyÃĐ un ultimatumâĶ aux autres mouvements patronaux, en indiquant quâil plierait bagage si, la semaine prochaine, les positions de la CGPME et de lâUPA nâavaient pas avancÃĐ.  On sâen amuse par avance.
Le patronat sans boussole face à la loi Macron
La crise patronale est probablement plus profonde quâil nây paraÃŪt. Le mouvement de grÃĻve initiÃĐ par la CGPME cache un vrai dÃĐsarroi vis-Ã -vis dâune crise qui remet en cause les logiques traditionnelles.
Les dÃĐbats autour de la loi Macron en sont le signe. Alors que Pierre Gattaz ÃĐcrit au gouvernement pour proposer des rÃĐformes dont la vacuitÃĐ sont hallucinantes, le vice-prÃĐsident du MEDEF soutient la loi Macron:
Le projet de loi Macron, qui affiche lâambition de ÂŦ dÃĐverrouiller Âŧ lâÃĐconomie française et sera prÃĐsentÃĐ mercredi, va ÂŦ vÃĐritablement dans la bonne direction Âŧ, a estimÃĐ lundi le prÃĐsident du pÃīle entrepreneuriat du Medef, Thibault Lanxade sur RFI.
ÂŦ Ce que propose aujourdâhui Emmanuel Macron va vÃĐritablement dans la bonne direction. Sur les professions rÃĐglementÃĐes il y a un certain nombre de corporatismes quâil faut faire ÃĐvoluer Âŧ, a dÃĐclarÃĐ le responsable de lâorganisation patronale à deux jours de la prÃĐsentation en conseil des ministres de ce projet touchant à une multitude de sujets.
ÂŦ Oui, le texte est intÃĐressant. Il va dans beaucoup de directions Âŧ dont lâassouplissement des rÃĻgles du travail du dimanche, autrefois ÂŦ tabou Âŧ et qui est ÂŦ une des premiÃĻres choses que (le prÃĐsident du Medef Pierre Gattaz) a exprimÃĐes Âŧ, a affirmÃĐ M. Lanxade.
ÂŦ Est-ce quâil ira jusquâau bout ? Aura-t-il la capacitÃĐ et la latitude politique pour mener à bien ces rÃĐformes, ça nous le souhaitons Âŧ, a-t-il poursuivi, soulignant quâil y aurait ÂŦ des rÃĐsistances Âŧ dans le camp du ministre de lâEconomie et ÂŦ peut Être aussi dans certaines zones de corporatisme patronal Âŧ.
Corporatisme patronal? Une allusion, probablement, à la position de la CGPME, qui considÃĻre que la loi Macron est ÂŦ un nouveau coup de poignard plantÃĐ dans le dos du commerce de proximitÃĐ Âŧ.
On imagine lâambiance dans les rÃĐunions patronales, à un moment oÃđ la CFDT a manifestÃĐ son soutien au travail du dimanche.
Deux sujets à suivre
Cette actualitÃĐ foisonnante ne doit pas faire oublier deux sujets dâactualitÃĐ dâun intÃĐrÊt majeur.
Dâune part, le MEDEF a commencÃĐ une dÃĐlibÃĐration sur lâÃĐpargne salariale qui mÃĐrite un suivi particulier. Lâenjeu est de dÃĐvelopper lâÃĐpargne salariale dans les PME et les TPE, alors que la majoritÃĐ a triplÃĐ le forfait social lors de son accession au pouvoir, en 2012.
Dâautre part, le suivi exact des accords de branche pour le pacte de responsabilitÃĐ donne lieu à de belles passes dâarmes entre le MEDEF et le gouvernement. Le bilan des nÃĐgociations sera à tirer prochainement.
Source:Â eric-verhaeghe
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