Êtes-vous pauvre ? Mesures de la pauvreté et impact sur le taux de pauvreté

Etes-vous pauvre ? Cette question en apparence simple est en rĂŠalitĂŠ assez complexe ! En effet, d’un point de vue statistique, pour ĂŞtre capable de dĂŠfinir si une personne est pauvre, il faut ĂŞtre capable de dĂŠfinir un niveau (ou un seuil) prĂŠcis en dessous duquel une personne est alors considĂŠrĂŠe comme pauvre (et au dessus duquel elle ne l’est pas). Mais comment justement fixer ce niveau et comment l’ajuster dans le temps ? Est-on pauvre lorsque l’on dispose de moins 1000 euros par mois ? Est-on pauvre lorsque l’on est moins riche qu’un certain pourcentage de la population ? Est-on pauvre lorsqu’on ne peut pas s’acheter de la viande au moins une fois par semaine ? Avec ces trois questions, le Captain’ vient d’introduire indirectement trois mĂŠthodes diffĂŠrentes pour mesurer la pauvretĂŠ : (1) la mesure monĂŠtaire absolue (un niveau de vie infĂŠrieur Ă  x euros par mois, avec un seuil qui s’ajuste dans le temps en prenant en compte l’inflation), (2) la mesure monĂŠtaire relative (un niveau de vie infĂŠrieur Ă  x% du niveau de vie mĂŠdian des habitants de votre pays) et (3) la mesure de la pauvretĂŠ en tant que privation (ou mesure en conditions de vie). Chaque mĂŠthode a ses avantages et ses inconvĂŠnients, et selon le choix de la mesure et du seuil, le nombre de pauvre dans un pays peut drastiquement augmenter ou diminuer. C’est parti pour le grand test : « Etes-vous pauvre 2015 ? » !

Selon les derniers chiffres de l’INSEE, 14,3% de la population française est pauvre, soit environ 8,6 millions de personnes (source : « PauvretĂŠ en 2012 : comparaisons rĂŠgionales – INSEE« ). Selon l’INSEE, vous ĂŞtes « pauvre » si votre niveau de vie est infĂŠrieur Ă  987 euros par mois. Donc si vous gagnez le SMIC (1096 euros net en 2012), vous n’ĂŞtes pas pauvre ; et ce mĂŞme si vous habitez tout seul Ă  Paris et que votre loyer est de 700 euros (ce qui peut ĂŞtre discutable…) ! Si vous touchez uniquement le Revenu de SolidaritĂŠ Active (RSA – 467 euros par mois), vous ĂŞtes alors considĂŠrĂŠ comme pauvre (lĂ  dessus, peu de discussions possibles) !

Mais comment est calculĂŠ ce seuil de 987 euros ? Le seuil de pauvretĂŠ en France est dĂŠfini par l’INSEE comme ĂŠtant ĂŠgal Ă  60% du niveau de vie mĂŠdian de la population française : c’est donc une mesure relative, qui dĂŠpend directement du revenu mĂŠdian du pays. Pour illustrer cela, supposons alors un pays avec 21 habitants, ayant chacun le niveau de vie suivant (voir tableau ci-dessous). Pour simplifier, on suppose alors que chaque habitant est cĂŠlibataire et sans enfant, en ĂŠvitant ainsi les problĂŠmatiques relatives aux unitĂŠs de consommation (pour plus d’infos Ă  ce sujet, voir « La mesure de la pauvretĂŠ – INSEE« ).

seuil-pauvrete-60

La première ĂŠtape consiste donc Ă  calculer le niveau de vie mĂŠdian. Dans notre exemple, le niveau de vie mĂŠdian est de 1500 euros, ce qui signifie que 10 habitants ont un revenu supĂŠrieur Ă  ce niveau et 10 habitants ont un revenu infĂŠrieur. Pour dĂŠfinir le seuil de pauvretĂŠ, on multiplie ensuite 1500 par 60%, ce qui nous donne un seuil Ă  900 euros. Ensuite, sont considĂŠrĂŠs comme pauvres tous les habitants ayant un niveau de vie infĂŠrieur Ă  900 euros (soit dans notre cas 5 habitants – et donc un taux de pauvretĂŠ de 23,8%). La prise en compte d’un seuil de pauvretĂŠ en fonction d’un niveau relatif de niveau de vie permet donc d’ĂŠvaluer une notion de pauvretĂŠ Ă  un moment donnĂŠ et pour un pays donnĂŠ.

Mais il y a aussi tout de mĂŞme pas mal de limites Ă  cette mesure. Supposons que du jour au lendemain, une croissance incroyable touche notre pays, et que le niveau de vie de l’ensemble des habitants double. Dans cette situation, avec un seuil de pauvretĂŠ dĂŠfini de manière relative, il y aura toujours autant de pauvre dans notre pays : le seuil de pauvretĂŠ passant Ă  1800 euros, les pauvres d’avant sont toujours pauvres (au sens statistique) et ce malgrĂŠ le fait que leur niveau de vie ait doublĂŠ. A l’inverse, il est possible de voir une baisse du taux de pauvretĂŠ dans un pays si les pauvres restent aussi pauvres (en euros) mais que les plus riches deviennent moins riches (une baisse du niveau de vie mĂŠdian pouvant entraĂŽner une baisse du taux de pauvretĂŠ, mĂŞme sans hausse du niveau de vie rĂŠel des plus pauvres). Ces deux exemples sont assez extrĂŞmes, mais illustre tout de mĂŞme assez simplement les problĂŠmatiques relatives Ă  l’utilisation d’un seuil relatif.

De plus, il est important de faire bien attention Ă  ne pas tirer de conclusions hâtives lors des comparaisons internationales du taux de pauvretĂŠ. Par exemple un pays « A » oĂš l’ensemble des habitants a le mĂŞme niveau de vie (500 euros par mois par exemple) sera considĂŠrĂŠ comme ayant 0% de taux de pauvretĂŠ, tandis qu’un pays « B » oĂš l’habitant le plus pauvre a un niveau de vie de 1000 euros mais oĂš il existe de plus fortes inĂŠgalitĂŠs pourrait avoir par exemple un taux de pauvretĂŠ de 20%…. Pourtant, les non-pauvres du pays « A » seraient tous pauvres dans le pays « B » (Ă  un ajustement de revenu mĂŠdian près) ! Le taux de pauvretĂŠ mesurĂŠ d’une manière relative se rapproche donc davantage d’une mesure des inĂŠgalitĂŠs dans un pays donnĂŠ que d’une rĂŠelle mesure de la pauvretĂŠ (mĂŞme si les deux mesures peuvent ĂŞtre liĂŠes).

PlutĂ´t qu’une mesure relative, il est aussi possible de mesurer la pauvretĂŠ monĂŠtaire de manière absolue : c’est Ă  dire en utilisant un niveau fixe dans le temps (avec simple ajustement pour l’inflation) ne dĂŠpendant pas de la richesse moyenne ou mĂŠdiane d’un pays. Les Etats-Unis utilisent par exemple principalement une mesure monĂŠtaire absolue pour dĂŠfinir le taux de pauvretĂŠ. Le seuil de pauvretĂŠ a ĂŠtĂŠ dĂŠfini en 1963 comme ĂŠtant ĂŠgal Ă  trois fois le montant d’un rĂŠgime alimentaire minimum, et est ajustĂŠ chaque annĂŠe pour prendre en compte l’inflation. Par exemple, s’il faut au minimum 300$ par mois pour pouvoir se nourrir correctement aux USA, le seuil de pauvretĂŠ sera fixĂŠ Ă  900$. Cela nous donne donc une mesure absolue de la pauvretĂŠ, qui est par la suite ajustĂŠe en fonction de la situation familiale et du nombre d’enfant (source : « How the Census Bureau Measures Poverty« ). Par exemple, un individu seul avec un niveau de vie infĂŠrieur Ă  12.119$ par an (1009$ par mois) sera considĂŠrĂŠ comme pauvre aux USA.

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En utilisant cette mesure monĂŠtaire absolue du seuil de pauvretĂŠ, le taux de pauvretĂŠ aux Etats-Unis est relativement stable, ce qui signifie que le niveau de vie des pauvres augmente Ă  peu près au mĂŞme niveau que l’inflation. Cependant, si les Etats-Unis utilisaient une mesure relative comme la France, il y a fort Ă  parier que les conclusions seraient très diffĂŠrentes : la hausse des inĂŠgalitĂŠs (cf travaux de Piketty par exemple) aux USA devraient en effet se traduire par une hausse du taux de pauvretĂŠ avec une mesure relative.

Pour les pays en voie de dĂŠveloppement, une mesure de pauvretĂŠ monĂŠtaire absolue souvent utilisĂŠe est celle de 1,25$ PPA par jour (« Banque Mondiale – Ratio de la population pauvre disposant de moins de $1,25 par jour (PPA) (% de la population)« ). L’objectif ici est assez diffĂŠrent, mais cela permet une comparaison internationale entre les pays et la fixation d’objectifs de rĂŠduction de la pauvretĂŠ Ă  l’ĂŠchelle mondiale, comme par exemple, dans le cadre des Objectifs du MillĂŠnaire pour le DĂŠveloppement (OMD) : « Ojectif 1 – RĂŠduire de moitiĂŠ, entre 1990 et 2015, la proportion de la population dont le revenu est infĂŠrieur Ă  un dollar par jour » (objectif atteint, principalement grâce Ă  la forte croissance en Inde et en Chine – avec ajustement Ă  1,25$ par la suite)

Intuitivement, le Captain’ a donc tendance Ă  prĂŠfĂŠrer la mesure absolue (ajustĂŠe de l’inflation et/ou avec taux de change PPA) plutĂ´t que la mesure relative. En effet, le problème avec la mesure relative est, qu’Ă  part en rĂŠduisant les inĂŠgalitĂŠs, il est très difficile de rĂŠduire le taux de pauvretĂŠ. De plus, Ă  très long-terme, il est possible d’imaginer un monde avec un taux de pauvretĂŠ quasi-nul si l’on mesure cela d’un point de vue absolu (#Bisounours), tandis qu’Ă  part Ă  avoir un monde communiste, la pauvretĂŠ sera toujours prĂŠsente et ne baissera pas vraiment si l’on garde une mesure relative.

Une dernière mĂŠthode consiste non pas Ă  s’appuyer sur des variables monĂŠtaires (niveau de vie, revenu, consommation) mais sur des notions de privations ou de conditions de vie. Une personne est alors considĂŠrĂŠe comme pauvre si elle est privĂŠe d’accès Ă  un certains nombres de biens, de services ou de « capacitĂŠs » (mais pas au sens des « capabilities » d’Amartya Sen) jugĂŠs comme « essentiel ». Selon Eurostat par exemple (source : « Material deprivation statistics« ), une personne est pauvre si elle n’a pas accès au minimum Ă  4 des 9 biens/services/capacitĂŠs :

  1. Etre capable de payer son loyer ou son emprunt hypothĂŠcaire
  2. Pouvoir chauffer suffisamment pour son logement
  3. Partir une semaine en vacance par an
  4. Manger une fois tous les deux jours un repas avec viande, poulet, poisson ou Êquivalent vÊgÊtarien
  5. Faire face à des charges financières imprÊvues
  6. Avoir un tĂŠlĂŠphone (y compris le tĂŠlĂŠphone mobile)
  7. Avoir un tĂŠlĂŠviseur couleur
  8. Avoir une machine Ă  laver
  9. Avoir une voiture

En prenant en compte cette notion de privation, « seulement » 5,1% des français sont alors considĂŠrĂŠs comme pauvre (contre plus de 14% avec la mesure relative de l’INSEE – voir graphique ci-dessous pour un comparatif du taux de privation dans diffĂŠrents pays). De plus, les questions ĂŠtant les mĂŞmes pour l’ensemble des pays, une comparaison internationale est alors plus facile qu’avec la notion de pauvretĂŠ relative (qui dĂŠpend du revenu mĂŠdian du pays) et les problĂŠmatiques de paritĂŠ de pouvoir d’achat sont indirectement intĂŠgrĂŠes. L’INSEE utilise d’ailleurs aussi un indicateur de pauvretĂŠ en condition de vie pour complĂŠter l’approche monĂŠtaire (voir par exemple « INSEE – PauvretĂŠ en conditions de vie« ) qui ressemble pas mal Ă  celui d’Eurostat mais en mettant l’accent sur les restrictions de consommation, les retards de paiements, l’insuffisance des ressources et les difficultĂŠs de logement.

taux-privation

Mais pour revenir au taux de pauvretĂŠ calculĂŠ de manière relative, et pour complĂŠter son argumentation sur « pourquoi le Captain’ n’aime pas trop cet indicateur relatif », voici un comparatif du taux de pauvretĂŠ en Europe en prenant donc en compte le pourcentage de population dans chaque pays ayant un niveau de vie infĂŠrieur Ă  60% du niveau de vie mĂŠdian de ce pays (source : « INSEE« ).

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Avec ce genre d’indicateur, et si l’on ne fait pas attention Ă  la manière dont le taux de pauvretĂŠ est calculĂŠ, on se retrouve Ă  penser que le taux de pauvretĂŠ en Espagne est similaire Ă  celui de la Bulgarie, la Grèce ou la Roumanie… Mais si on regarde le niveau de vie moyen ou le taux de privation (graphique ci-dessus), il est assez simple de voir qu’en rĂŠalitĂŠ, le taux de pauvretĂŠ est nettement infĂŠrieur en Espagne qu’en Bulgarie (et si vous avez voyage dans les deux pays, il y a peu de dĂŠbat lĂ  dessus). Attention, le Captain’ ne dit pas qu’il n’y a pas de pauvre en Espagne ou que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais simplement qu’une carte telle que celle ci-dessus n’a en rĂŠalitĂŠ pas beaucoup de sens (en tout cas en tant que mesure de la pauvretĂŠ).

Conclusion : Un indicateur n’est ni bon ni mauvais : un indicateur sert simplement Ă  mesurer une situation donnĂŠe… Ensuite, pour que cela ait de la valeur, il faut ĂŞtre capable d’analyser et de « faire parler » cet indicateur. Le problème avec le taux de pauvretĂŠ mesurĂŠ de manière relative est que l’interprĂŠtation est assez complexe et que le lien entre « le taux de pauvretĂŠ baisse » et « les pauvres sont moins pauvres » n’est pas direct ! Bien que la mesure des privations ou la mesure absolue aient aussi des dĂŠfauts, cela se rapproche davantage, selon le Captain’, du concept de « taux de pauvretĂŠ » tel qu’il pourrait ĂŞtre imaginĂŠ par un individu n’ayant pas de connaissances poussĂŠes en statistiques ou en ĂŠconomie. Dans le meilleur des mondes, il faudrait donc regarder en parallèle l’ĂŠvolution de ces trois indicateurs, afin d’avoir une meilleure comprĂŠhension globale de la pauvretĂŠ dans un pays donnĂŠ, tout en pouvant comparer l’ĂŠvolution par rapport Ă  ses voisins et ĂŞtre capable de mesurer si la pauvretĂŠ diminue ou non dans le temps. VoilĂ , la prochaine fois qu’un de vos amis vous dira « je suis pauvre en ce moment », vous aurez de quoi argumenter pas mal sur cette notion de pauvretĂŠ relative, absolue ou de privation (le pote relou de base !)…

Source: captaineconomics

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