ÂŦ Il nây a richesse, ni force que dâhommes Âŧ.
Lorsque Jean Bodin rÃĐsumait ainsi sa pensÃĐe, nourrie des valeurs humanistes de la renaissance, se doutait-il que son aphorisme, non seulement connaÃŪtrait la postÃĐritÃĐ, mais qu’avec l’assentiment des pouvoirs tant spirituels que matÃĐriels, il qualifierait un jour, sans le moindre fard, notre sociÃĐtÃĐ, bien au-delà de ce qu’aurait permis d’imaginer son ÃĐpoque, brÃĻve parenthÃĻse d’une ÃĐvolution allant de l’esclavage antique à ses formes adaptÃĐes aux temps qui ont suivis ?
S’il est arrivÃĐ que les hommes aient pu se considÃĐrer comme individuellement et fondamentalement dÃĐtenteurs de la richesse immatÃĐrielle qui rÃĐside en chacun d’entre eux, le progrÃĻs matÃĐriel a en tout cas eu tÃīt fait de la leur confisquer. Et c’est ainsi que l’homme « ÃĐthique » est aujourd’hui remplacÃĐ par son nombre (ou son ombre), devenu indicateur suprÊme de la puissance des citÃĐs, des nations et de la sociÃĐtÃĐ.
Pour ceux qui douteraient de cette rÃĐalitÃĐ, les lignes ci-aprÃĻs, empruntÃĐes à Turmeau de la MorandiÃĻre, continuateur zÃĐlÃĐ de Jean Bodin, sont rÃĐvÃĐlatrices du pragmatisme, voire du cynisme, sur lesquels ont toujours reposÃĐ les incitations à croÃŪtre et multiplier, dispensÃĐes aux peuples.
ÂŦ Les bestiaux sont plus nÃĐcessaires à un Ãtat qu’on ne se l’est imaginÃĐ jusqu’à prÃĐsent. Si on en eut connu toute l’importance, le Conseil se serait occupÃĐ du soin de les faire multiplier. il est temps d’ouvrir les yeux sur ce point de vÃĐritÃĐ ; sans bestiaux il n’y aura pas d’engrais, et par consÃĐquent les productions en grains et grenailles de toutes espÃĻces, en lÃĐgumes, en vins, en fruits, en foins et paille seront mÃĐdiocres ; de dÃĐcroissements en dÃĐcroissements il n’y aura donc par succession de temps ni pain, ni vin, ni fourrage, ni autres subsistance pour hommes et chevaux ; ni chanvres ni laines, ni soie pour se vÊtir ; et c’est ce qu’on doit craindre. Sans manufactures par consÃĐquent et sans commerce, la finance, ce corps quelquefois nÃĐcessaire, sans cependant en faire trop d’usage, ni le considÃĐrer comme la colonne de lâÃtat, suivant l’expression d’un Premier ministre, s’ÃĐcroulera. Sans argent, sans subsistances, sans denrÃĐes d’aucune nature, sans ressources, les armÃĐes n’iront pas loin, et ne tarderont pas à se dissoudre ou à se disperser ; les soldats se battront mal et pÃĐriront ; les chevaux auront la mÊme fin avant d’avoir fait le moindre service ; les habitants des villes et campagnes riches et pauvres manqueront des choses les plus indispensables, et mourront de faim, de froid et de misÃĻre ; sans hommes dans le royaume, il n’y aura plus ni soldats, ni matelots, ni ouvriers et le royaume, enfin, sans habitants, deviendra le repaire des lions, des lÃĐopards, des ours, et n’aura plus besoin de ministres ni de gÃĐnÃĐraux. Les financiers joueront un pauvre rÃīle vis-à -vis des bÊtes fÃĐroces ou des bÊtes fauves ; c’est donc ici la cause commune du roi, de son sage Conseil et de ses fidÃĻles sujets ; cause par consÃĐquent extrÊmement importante pour tous les Ãtats, pour toutes les professions. Âŧ
ÂŦ Si je ne craignais d’autoriser le vice, et d’achever de corrompre les mÅurs qui ne sont dÃĐjà que trop relÃĒchÃĐes et trop dÃĐrÃĐglÃĐes, j’adopterais le projet que ChÃĐvrier prÊte à feu M. le MarÃĐchal de Belle-Ile dans son prÃĐtendu testament politique. Ce serait, 1° d’ÃĐtablir à Paris comme à Berlin [l'allemagne donnait dÃĐjà l'exemple], une maison dÃĐcente pour y recevoir dans le plus grand secret les filles de familles honnÊtes enceintes, pour les y traiter avec douceur, et ce pendant le temps de leur grossesse, et mÊme dÃĻs son commencement. 2° de tenir la main à ce que les filles du menu peuple et les filles publiques qui vont faire leurs couches à l’HÃītel Dieu de Paris, y fussent traitÃĐes avec beaucoup plus d’humanitÃĐ et de soins qu’elles ne le sont, et qu’il leur fÃŧt donnÃĐ aprÃĻs leur parfait rÃĐtablissement, et en sortant de la maison, la somme de cent cinquante livres, si elles ÃĐtaient accouchÃĐes d’un garçon, et celle de trente livres si elles n’ÃĐtaient accouchÃĐes que d’une fille, l’une et l’autre desquelles sommes leur seraient payÃĐes comptant et sur leurs quittances.
J’apprÃĐhenderais cependant qu’un pareil ÃĐtablissement qui, à certains ÃĐgards serait trÃĻs bon et trÃĻs avantageux, puisqu’il tend à conserver des crÃĐatures faites pour servir Dieu, à multiplier le nombre des citoyens et à enrichir lâÃtat, ne fut un nouvel attrait pour le libertinage et l’effrÃĐnation, qu’il ne fut mÊme un ÃĐloignement pour le mariage, que les nations policÃĐes doivent chÃĐrir et respecter, puisqu’il assure leur tranquillitÃĐ et leur bonheur. Âŧ
ÂŦ Dirai-je mÊme à cet ÃĐgard que la crainte d’avoir une nombreuse famille, qui expose les pÃĻres, les mÃĻres et les enfants à mourir de faim, fait de tous ceux qui s’engagent dans cet auguste sacrement, autant de sacrilÃĻges impies qui le profanent sans scrupule, et par un faux systÃĻme d’ÃĐconomie et de prudence. Nous ne voulons pas avoir beaucoup d’enfants, disent-ils, parce que nous ne sommes pas en situation de les nourrir, de les entretenir, encore moins de leur procurer une aussi bonne ÃĐducation que nous le dÃĐsirerions, ni un ÃĐtablissement avantageux. Âŧ
ÂŦ Quelques grands que soient nos maux, il est encore temps de les guÃĐrir radicalement, pourvu qu’on en diffÃĻre pas les remÃĻdes. InvitÃĐs au mariage par l’ordonnance que je demande contre l’oisivetÃĐ, les sujets les plus sages comme les plus libertins, par des rÃĐcompense que sa majestÃĐ accordera, et qu’on distribuera fort exactement aux pÃĻres et mÃĻres des familles nombreuses, à l’imitation de Louis XIV qui, dans les commencements de son rÃĻgne accorda pendant cinq annÃĐes l’exemption de taille à tous ceux qui se marieraient, et une exemption de toute nature d’imposition pendant sa vie au pÃĻre de famille qui avait dix enfants vivants. Âŧ
ÂŦ Attachez une sorte d’infamie à la vie des cÃĐlibataires sÃĐculiers de l’un comme de l’autre sexe : les garçons la mÃĐrite puisqu’ils sont tous libertins. Imposez-leur une taxe particuliÃĻre, humiliante et forte, dont ils ne pourront s’affranchir qu’en se mariant. DÃĐfendez par la mÊme ordonnance à tous jeunes gens, garçons et filles, qui souvent par fainÃĐantise, quelquefois par enthousiasme, se destinent à la vie nonchalante des mystiques encloÃŪtrÃĐs, de se lier par aucun vÅu, qu’ils n’aient atteint, savoir les hommes l’ÃĒge de trente-cinq ans et les filles celui de trente ans, à peine de nullitÃĐ. DÃĐfendez pareillement aux communautÃĐs religieuses de l’un et l’autre sexe, mÊme aux Chartreux et Trappistes, de recevoir aucun sujet avant vingt-neuf ans pour les filles et trente-quatre pour les hommes, pour faire leur noviciat, sous peine de cinq cents livres d’amende contre les maisons conventuelles et les communautÃĐs oÃđ les vÅux auront ÃĐtÃĐ prononcÃĐs, et ce pour la dÃĐsobÃĐissance et contravention ; attendu qu’avant de parvenir à l’un ou l’autre de ces deux ÃĒges, chaque postulant aura eu le temps et les moyens de se consulter et d’ÃĐprouver sa vocation avec autant de rÃĐflexion qu’en exige un ÃĐtat si sain et si mÃĐritoire. Âŧ
 ÂŦ Pour lors le ciel et la terre y gagneront en habitants ; l’objet de la crÃĐation de l’homme se remplira ponctuellement et tel que Dieu le veut. La population du royaume se multipliera, lui procurera en abondance des denrÃĐes de toutes espÃĻces de son crÃŧ, des richesses numÃĐraires, et le rendra florissant et redoutable à toutes le nations. Âŧ
 Le respect d’aussi bons prÃĐceptes perdure, mais la mondialisation et l’inflation aidant, la richesse qu’ils entendent promouvoir se dÃĐprÃĐcie du seul fait de la prolifÃĐration des hommes qui la constituent. Et cette dÃĐprÃĐciation pourrait mÊme conduire à un effondrement irrÃĐmÃĐdiable, tant la courbe de notre dÃĐmographie ressemble à celle de la vie d’une espÃĻce â ou pour le moins d’une civilisation â appelÃĐe elle-mÊme à chuter brutalement, au train oÃđ vont les choses.
 L’ÃĐlite n’est plus seule à si mal gÃĐrer cette richesse, et ceux dont elle est faite sont de plus en plus nombreux à en prendre conscience, en mÊme temps qu’ils contestent les conditions du partage d’une autre richesse. Si celle de la sociÃĐtÃĐ peut en effet se mesurer au nombre des individus qui la composent, toutes conditions confondues, force est de constater que par un mÃĐcanisme liÃĐ aux hasards de leur naissance, ceux qui en constituent la masse se voient privÃĐs de sa plus grande partie, laquelle profite en tout premier lieu à cette ÃĐlite qui les encourage si rÃĐsolument à se multiplier. En rÃĐaction à une telle « exploitation de l’homme par l’homme », la rÃĐvolte s’est d’abord manifestÃĐe et survit dans l’archaÃŊsme d’une lutte des classes ayant pourtant dÃĐmontrÃĐe sa stÃĐrilitÃĐ, un pouvoir chassant l’autre et les catÃĐgories sociales continuant à occuper irrÃĐmÃĐdiablement les mÊmes ÃĐtages dans la pyramide sociale. Pendant ce temps, par simple effet de proportionnalitÃĐ, les pauvres croissent en nombre, inexorablement plus vite que les riches. Le nombre prÃĐvaut de la sorte au dÃĐtriment premier des pauvres, la part du progrÃĻs revenant à chacun ÃĐtant d’autant moins importante qu’ils sont nombreux. Nul ne semble concevoir que la seule maniÃĻre d’Être plus heureux est dorÃĐnavant d’Être moins nombreux, et que sans avoir recours à des procÃĐdÃĐs contraires à leur dignitÃĐ, il suffirait d’admettre que la dÃĐnatalitÃĐ est dorÃĐnavant la clÃĐ de l’amÃĐlioration de la condition humaine.
Encore que ce ne soit pas le surnombre en soi qui pose problÃĻme. Pour ce qui est de l’espace vital, l’homme est compressible ; en ce qui concerne ses besoins alimentaires, il est probable que le gÃĐnie humain saura y pourvoir quelle qu’en soit l’ampleur ; quant à l’agoraphobie, il reste à ceux qui en souffrent à se faire une raison, de mÊme que pour une inÃĐvitable restriction des libertÃĐs Car la libertÃĐ elle aussi est une richesse qui se partage, et plus le nombre de ceux qui y prÃĐtendent est grand, plus est rÃĐduite la part qui en revient à chacun. C’est l’ingouvernabilitÃĐ du surnombre â attestÃĐe par les difficultÃĐs croissantes à simplement gouverner le nombre â qui est à craindre, avec son cortÃĻge de dÃĐsordres sociÃĐtaux et environnementaux d’ampleur incalculable, et surtout l’expansion cinÃĐtique de la pauvretÃĐ. Pas seulement de la pauvretÃĐ matÃĐrielle d’ailleurs, mais de cette pauvretÃĐ faite d’uniformitÃĐ, d’indiffÃĐrence et d’impuissance.
Face à cette situation, le plus surprenant est que ceux qui en souffrent le plus continuent d’afficher les taux de fÃĐconditÃĐ les plus ÃĐlevÃĐs, indiquant objectivement par là , que non seulement ils admettent leur sort, mais qu’y soit condamnÃĐe leur descendance. Tel est le cas depuis que le monde existe, mais ils continuent obstinÃĐment, comme s’en remettant à un instinct de conservation de l’espÃĻce particuliÃĻre qu’ils forment. Il y a lieu en tout cas, d’Être aussi surpris du fait que tous les pouvoirs, laÃŊques comme religieux ; tous les dÃĐfenseurs des pauvres, les y encouragent en ne proposant pas d’autres luttes que celle des classes et en se montrant indÃĐfectiblement ennemis de la dÃĐnatalitÃĐ ? Pourtant, toujours par effet de proportionnalitÃĐ, cette dÃĐnatalitÃĐ touchant surtout les plus pauvres, l’ÃĐlite devraient Être consciente du bÃĐnÃĐfice qui en rÃĐsulterait pour ceux dont elle prend objectivement le parti â comme pour elle-mÊme â, face à une pression qui monte chaque jour un peu plus, non seulement du fait d’une prise de conscience gÃĐnÃĐralisÃĐe mais avec la puissance des 220 à 250 000 Êtres humains supplÃĐmentaires qui dÃĐferlent chaque jour sur la planÃĻte.
Cet article est tirÃĐ du blog :http://claudec-abominablepyramidesociale.blogspot.com
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