Tout d’abord regardons quelles sont les principales conclusions du COR et de la Cour
Le COR : rapport sur l’ensemble des régimes de retraite
Les résultats : Au total, les perspectives financières du système de retraite, telles qu’actualisées à l’occasion du dossier de la présente séance, sont améliorées par rapport à celles établies par le COR en 2012 dans le cadre de son 11e rapport. Même si les deux exercices ne peuvent pas être directement comparés, le solde financier du système de retraite serait meilleur que celui projeté en 2012 dans chacun des cinq scénarios, d’environ 0,6 point de PIB en 2020 et 1 point de PIB à partir de 2030 – et ce malgré des hypothèses économiques moins favorables à court terme. Cette amélioration résulterait notamment de la hausse des ressources affectées au système – le taux de prélèvement global en 2020 passant d’environ 30% à 30,8% entre les deux exercices de projection – et de l’amélioration du rapport entre nombre de cotisants et nombre de retraités, sous l’effet de la poursuite de l’allongement de la durée requise pour une retraite à taux plein. (…)
Les scénarios du COR
A’ | A | B | C | C’ | |
Productivité | 2% | 1,8% | 1,5% | 1,3% | 1% |
Chômage | 4,5% | 4,5% | 4,5% | 7% | 7% |
Le système de retraite serait en besoin de financement au cours de la décennie 2010-2020 (de – 0,3% à – 0,5% du PIB), mais il pourrait, en cas de croissance suffisante des revenus d’activité, revenir à l’équilibre dans la deuxième partie des années 2020 – c’est le cas dans le scénario B –, voire dégager des excédents importants à partir de cette date et à plus long terme, comme dans les scénarios A et A’. À l’inverse, il resterait durablement en besoin de financement en cas de croissance des revenus d’activité inférieure à 1,5% par an à long terme. Dans le scénario C’, les besoins de financement atteindraient ainsi un peu plus de 1% du PIB en 2040 et un peu plus de 1,5% du PIB en 2060.
La Cour des comptes : sur les seules complémentaires du privé
Plusieurs facteurs ont précipité l’apparition de déficits croissants et ont dégradé les perspectives financières de ces régimes.
En premier lieu, une dégradation structurelle du ratio cotisants / retraités. Les départs en retraite des générations nombreuses de l’après-guerre ne sont pas une surprise. On savait qu’ils se traduiraient par une détérioration des comptes des régimes de retraite complémentaire entre 2005 et 2035. Les réserves accumulées devaient notamment contribuer à limiter cette détérioration.
En deuxième lieu, le fort ralentissement de la croissance économique depuis 2009 a accéléré la dégradation des comptes. Entre 1998 et 2008, une croissance plutôt dynamique de la masse salariale a contribué à l’accumulation d’excédents. Cela s’explique parce que les cotisations, à la charge pour partie des entreprises, pour partie des salariés, sont assises dans les deux cas sur cette masse salariale. En revanche, depuis 2009, en raison de la crise et de ses conséquences, l’augmentation de la masse salariale réelle a été quasiment nulle. Cette situation a favorisé la réapparition des déficits.
En troisième lieu, même si certaines décisions prises par les pouvoirs publics ont eu un effet positif sur la situation financière des régimes complémentaires, le bilan est globalement plus nuancé. D’autres décisions ont en effet tendance à aggraver les déficits actuels et futurs des régimes complémentaires. Il s’agit notamment des décisions prises par l’État depuis 2012 sur les conditions de départ en retraite pour le régime général, en particulier pour les carrières longues. Ainsi, à l’horizon 2020, l’effet cumulé du décret de juillet 2012 sur les carrières longues et de la loi du 20 janvier 2014 devrait dégrader le solde annuel des régimes de 1,4 Md€. Cette dégradation aboutit au constat d’une urgence inédite depuis 20 ans.
Même si la Cour regarde plutôt le passé tandis que le COR essaye de se projeter dans l’avenir on est quand même frappé par la différence de ton. D’ailleurs cela permet à Marisol Touraine de se féliciter, selon la formule du Monde, que la réforme des retraites Ayrault de 2013, prévoyant une hausse des cotisations et l’allongement à 43 ans de la durée de cotisation, « produise des résultats ». « Nous n’avons pas de raison aujourd’hui d’en refaire une », assure-t-elle. Pourtant c’est exactement le message inverse que l’on entend de la Cour des comptes. Par ailleurs, le ministre du Travail, François Rebsamen, a brièvement laissé entendre que poursuivre l’allongement de la durée de cotisation serait nécessaire, avant de se reprendre sous le feu des critiques. Conclusion évidente : les Français n’y comprennent rien.
Les préconisations :
Le COR ne fait pas de préconisations puisqu’il s’agit d’une actualisation des projections financières. Il glisse cependant quelques remarques dans sa note de présentation générale :
Toutefois, ces résultats ne doivent pas nécessairement conduire à la conclusion qu’il n’y aura pas de problème de retraite en cas de croissance économique soutenue, car l’atteinte de l’équilibre financier n’est pas le seul objectif du système de retraite. Dans le scénario B où l’équilibre serait atteint vers la fin des années 2020 (et jusqu’en 2060), ce retour à l’équilibre se réalise en effet par une augmentation de l’âge effectif moyen de départ à la retraite d’environ 3 ans par rapport à aujourd’hui (pour atteindre 64 ans environ à partir de la fin des années 2030), mais aussi par une diminution de la pension moyenne relative au revenu d’activité moyen de 22 % entre 2013 et 2060, tandis que le taux de prélèvement global resterait aux alentours de 30 % de la masse des revenus d’activité bruts. Même si aucune cible n’a été fixée pour l’évolution de ces trois paramètres, on pourrait, pour des raisons d’équité, vouloir rechercher l’équilibre financier par une autre combinaison que celle qui résulte de cette évolution spontanée à législation inchangée.
Ce qu’il faut comprendre derrière ce passage assez technique, qui reconnaissons-le n’est pas franchement de nature à éclairer le débat, c’est que même dans le scénario central, plutôt optimiste, le retour à l’équilibre des comptes se traduira tout de même par le maintien d’un taux global de prélèvement (hors cotisation employeur) élevé, et par une diminution de la pension moyenne relativement aux revenus des actifs liés au mode d’indexation des retraites sur l’inflation et non plus sur les salaires. « On pourrait pour des raisons d’équité vouloir rechercher l’équilibre financier par une autre combinaison » pose le problème mais ne donne pas de solutions… !
Pour la Cour, les choses ont un peu différentes : même si le président de la Cour, Didier Migaud, rappelle avec prudence « Leur place [celles des régimes Arrco et Agirc] est particulière car depuis leur création leur pilotage et leur gestion dont de la seule responsabilité des partenaires sociaux qui décident en toute autonomie » la Cour souhaite faire passer le message que « la situation est préoccupante et justifie de prendre des décisions à court terme dans un cadre correctement articulé avec le processus décisionnel de l’État ». Parmi les propositions que se permet de faire la Cour :
- Revoir la clause plancher qui implique qu’il n’y ait pas de baisse nominale des pensions dans le cadre de l’application de la règle de revalorisation : « inflation -1 pt ». « En période de faible inflation prolongée, un tel mécanisme réduit le montant des économies attendues »
- En ce qui concerne le relèvement des cotisations, la Cour reconnaît que les marges de manœuvre sont faibles compte tenu du problème global de compétitivité de nos entreprises et rappelle que l’État a préempté ces marges par un relèvement des taux au bénéfice du financement du régime général.
- S’agissant des conditions de liquidation enfin, la Cour rappelle que les régimes complémentaires se sont toujours alignés sur celles du régime de base mais indique « une déconnexion avec les conditions de départ en retraite en vigueur pour le régime général ne devrait donc pas être exclue des leviers possibles ».
- Enfin la Cour insiste sur la poursuite du plan d’économies soulignant l’organisation trop complexe des régimes complémentaires, leurs coûts de gestion élevés et n’hésite pas à évoquer la question sensible de la fusion arrco-agirc.
Pour être tout à fait complet, la Cour a donc livré deux simulations de l’effet sur les réserves de différentes combinaisons de leviers :
- Simulation 1 : recul de la borne d’âge d’un an, hausse de 0,625 pt des cotisations sur 5 ans et sous indexation jusqu’en 2020 : cela permettrait de repousser l’épuisement des réserves au-delà de 2035.
- Simulation 2 : recul de 2 ans de la borne d’âge, prolongation des hausses de cotisations de 0,375 pt jusqu’en 2018 et sous indexation jusqu’en 2018, l’épuisement serait là aussi repoussé au-delà de 2035.
Même si ces simulations sont intéressantes que penser de recommandations qui se contentent de repousser le problème à 2035 en attendant de voir…
Et l’équité public-privé ?
Le rapport de la Cour évoque sans détour la possibilité de reculer d’un an ou deux ans la borne d’âge pour toucher sa retraite complémentaire. Et l’on n’a vu personne jusqu’à présent s’étonner que cela créerait une rupture inadmissible avec les agents de la fonction publique et des régimes spéciaux qui continuent en moyenne de partir plus tôt en retraite (58 ans) alors même que leur rapport cotisants/retraités (rapport démographique) est déjà très dégradé. Une telle possibilité ne serait socialement acceptable que si tout le monde est placé à la même enseigne. Mais après tout c’est peut-être ce que recherche le gouvernement : faire revenir par la petite porte le débat sur les bornes d’âge fixées depuis 2010 à 62 ans (âge légal) en le légitimant face à l’opinion publique par la décision des partenaires sociaux pour les seuls régimes complémentaires ?
L’autre rupture évidente c’est pour les retraités : la poursuite d’une sous-indexation jusqu’en 2018/2020 ne concernera que les retraités du privé : comment accepter une telle injustice puisque les retraites de la fonction publique continueront à suivre l’inflation ? Même avec la faible inflation que nous connaissons cette décision serait injustifiable.
N’oublions pas que les retraites dans la fonction publique sont plus élevées en moyenne que dans le secteur privé, non seulement en raison de la structure socio-professionnelle des emplois mais aussi grâce :
- à une formule de liquidation en % du salaire des 6 derniers mois qui est plus favorable que la formule du privé qui calcule sur les 25 meilleures années et la carrière complète
- à des âges moyens de départ plus faibles et sans décote pour les catégories actives
- à des taux de cotisations plus faibles qui en font des retraites moins contributives que celles du privé et largement plus subventionnées.
Si la Cour des comptes relance franchement le débat public-privé, le rapport du COR n’est pas en reste puisque grâce à la convention comptable qui consiste à faire évoluer les contributions des employeurs des fonctionnaires d’État comme la masse salariale de ces régimes, le régime public n’affiche ainsi aucun déficit mais sans poser la question de la soutenabilité d’une telle contribution sur le budget de l’État.
Que retenir de ce débat ?
Alors que deux organisations importantes de notre environnement institutionnel se sont penchées la même semaine sur l’avenir de nos retraites, que penser d’une telle cacophonie ? Pourquoi ne sont-elles pas parvenues à coordonner leurs analyses et leurs prescriptions ? Et ce sans compter le rapport demandé au Haut conseil pour le Financement de la Protection Sociale récemment par Manuel Valls et qui doit étudier le rapprochement du recouvrement entre Urssaf et retraites complémentaires ? Cette confusion est accentuée par le caractère assez fruste des hypothèses du COR (voir encadré) qui sous-tendent les projections. L’impression qui se dégage c’est que l’on escamote du débat public la vraie question de l’avenir des retraites pour donner à Bruxelles des gages de résultats en renvoyant à plus tard (2018, 2035) les enjeux de réforme et d’équité public-privé.
Les hypothèses du COR une fois de plus sous les feux des critiques
Pour le COR, les conclusions sont indissociables d’hypothèses retenues et celles-ci sont fortes et sujet à débat :
- Croissance : « Si les scénarios considérés sont très contrastés à long terme, une seule trajectoire économique est considérée sur le court terme, c’est-à-dire jusqu’à l’horizon de 2019. Cette situation traduit le choix de faire coïncider les projections du COR et celles réalisées dans le cadre du PLFSS pour 2015 – les deux exercices conduisant donc à des résultats identiques jusqu’en 2018. (…) Il a pour effet de ne pas faire apparaître les conséquences sur la situation financière des régimes de retraite de l’incertitude économique à court terme ». Mais le COR précise : « Dans ses avis publiés en septembre dernier, le Haut conseil des finances publiques a jugé que ‘s’agissant de l’année 2015, la prévision de croissance de 1,0% paraît optimiste’ »
- Chômage : « Les scénarios et variantes permettent au total de balayer une large plage pour ce qui concerne le taux de chômage – entre 4,5% et 10% de la population active selon les scénarios – eu égard aux variations de ce taux depuis la fin des années 1970. » et le COR de préciser : « Le taux de chômage en France métropolitaine n’a dépassé les 10% que ponctuellement en 1994 et en 1996-1997. Depuis la forte augmentation du chômage au cours des années 1980, le taux a oscillé entre 6,8% (premier semestre de 2008) et 10,4% (deuxième semestre de 1997) de la population active. » Ce à quoi on peut faire remarquer que le taux de chômage n’a plus atteint 4,5% depuis 1978…
- Productivité : Rappelons que, dans les projections du COR, ces hypothèses de productivité du travail déterminent la croissance des salaires et revenus d’activité : « Les hypothèses de rythme de croissance annuelle de la productivité du travail se fondent par ailleurs sur les rythmes observés en moyenne au cours des vingt dernières années, pour diverses périodes de référence (depuis le début des années 1990 ou depuis le début des années 2000, en incluant la période après-crise ou en l’excluant, etc.). Retenir des hypothèses plus contrastées encore aurait eu peu d’intérêt : les résultats des projections présentés font état à terme d’excédents substantiels en cas de croissance de la productivité du travail, et donc des revenus du travail, de 2% par an et de besoins de financement persistants en cas de croissance à 1% par an, qui, dans un cas comme dans l’autre, appellent des ajustements dans le cadre du pilotage du système de retraite. » Notons cependant que l’influence de la productivité est très forte, beaucoup plus que le chômage : « L’impact du chômage sur les finances du système de retraite est toutefois moindre que celui de la croissance des revenus d’activité, celle-ci ayant un effet cumulatif au cours des années. » Il est paradoxal que le COR reconnaisse la très forte influence des hypothèses de productivité et se prive d’en étudier toutes les conséquences. L’analyse de la productivité sur une période récente montre selon l’OCDE une très forte chute de la productivité de l’ordre de 0,3% par an en France entre 2007 et 2013. Or, le COR reconnaît qu’un différentiel de 0,3% de productivité c’est 10 milliards d’euros d’impact sur le solde financier.
Source Sandrine Gorreri IFRAP